Les fées et les pompiers

Il a les pieds sur terre, voilà bien ce que l’on dit d’un homme dont la pensée logique et positive construit le monde raisonnable. Cette terre solide de Livradois faite de granit, on eût pu croire qu’elle servirait à la fondation des certitudes d’un monde éclairé. Cela serait ignorer qu’au-delà du jour et des hommes l’esprit ressent et devine que dans l’obscurité des profondeurs souterraines règne notre part d’ombre.

Discussion devant la porte du monde souterrain – juillet 1982

Un jour, j’ai rencontré une fée, une gentille fée aux joues rosies par le soleil de juillet. Elle se promenait dans le village de Chigros, un bâton de noisetier pour la soutenir, un seau en aluminium pour éclairer son chemin. Qu’allait-elle faire? Chercher un peu d’eau au bac? Peut-être poursuivait-elle une chèvre espiègle, car il serait bientôt l’heure de la traite. Je ne sais vraiment plus ou elle allait, mais nous, nous cherchions l’improbable entrée d’une cavité souterraine que la rumeur avait porté jusqu’à notre connaissance.

La petite fée d’âge indéfinissable, mais que l’on sentait gourmande de malice, habitait une de ces jolies maisons du Livradois, pas très loin d’un tas de fumier ou dormait une grosse pierre. « Voilà! C’est là-dessous I Il y a une cave remplie d’eau! » nous dirent les habitants du village. Comme tout était prévu, les pompiers du chef-lieu étaient là, et même une compagnie d’archéologues employés à la fouille d’un souterrain près de Saint-Gervais-sous-Meymont.

La pierre fut soulevée, un trou d’eau apparut, la motopompe toute neuve fit son office. Lorsque le moteur s’arrêta, on n’entendit plus que le goutte à goutte distillé par les voûtes de l’antre sur un parterre vaseux qui sentait le purin. On eût dit l’entrée d’un gouffre du Quercy en miniature, fort heureusement les chiens de ferme, débonnaires, ne pouvaient rivaliser du regard avec Cerbère.

La petite fée surveillait cette agitation, un archéologue photographe voulut faire ce genre d’image pittoresque. Ce genre de portrait de gens bien de chez nous, c’était sans compter le seau en aluminium qui se transforma d’un coup en bouclier anti-objectif. Mais la petite fée était heureuse qu’on s’occupât un peu d’elle. Elle avait l’air d’en savoir long sur les fées, les sortilèges, le mauvais œil…

Dans la confidence, elle nous raconta cette histoire un peu folle des caves de la Fourne, un hameau tout proche. Des fées toutes noiraudes, toutes bourraudes vivaient là dans les profondeurs souterraines. Ces fées étaient espiègles comme la chèvre et malfaisantes comme les brigands. Lorsqu’il y avait un nouveau né dans une maison, la maman ne devait pas relâcher sa surveillance car alors les petites femmes toutes noires procédaient à un terrible échange. L’enfant était emmené dans le dédale souterrain et remplacé par une progéniture aussi noiraude et bourraude que sa parentèle.

Qu’advenait-il lorsque la maman revenait du jardin ou de l’étable ? Vision d’horreur, puis des cris et des larmes, heureusement les anciennes du village, toutes les mères savaient. Il fallait simplement prendre le petit gnome dans ses bras et lui infliger une bonne correction. Ses cris mettaient alors en émoi le petit monde souterrain. La fée noiraude apparaissait chargée de tous les espoirs de la maison: « voici le tien, rends moi le mien !».

Le 21 mai 1994.

L’orifice rempli d’eau aprés enlèvement de la pierre de fermeture.
Photos prises en juillet 1982

D’autres photos ont été prises ce jour-là par des archéologues, je pars à leur recherche.


Texte paru dans le n°11 de la revue « Le Trèfle » publiée en 1994 par l’association Livradois et monts du Forez.