La légende du Lac

A l’origine des temps, bien avant l’arrivée des  premiers hommes, Cunlhat aurait été un lac. C’est une histoire que l’on contait il n’y a pas si longtemps aux enfants pour expliquer le nom de Cunlhat, d’autant plus que sur les vieilles horloges des siècles précédents on pouvait encore lire le nom du village orthographié Cunlhac. On ne se rappelait plus  de mon Cumiliacum dont le nom passa au cours des âges par la Vicaria cumliacensi (Cartulaire de Sauxillanges 954), Cumliaco (idem), Cumilhac (1287), Cunliac et Cunlhac aux XVIIe et XVIIIe siècles, Cunlha sur la carte de Cassini (XVIIIe) avant que les agents du cadastre ne fixent définitivement le nom transposant avec beaucoup de mal  une prononciation  propre à la langue du pays.

Ne serait-ce « Qu’un lac » de légende ?

Le marcheur qui parcourt les bois et les champs du côté du moulin de La Barde au resserrement de la vallée du Mende imagine facilement le verrou géologique qui aurait pu retenir les eaux dans  le bassin de Cunlhat formant un grand lac qui mouillerait aujourd’hui les pieds des habitants du bourg . Ce barrage naturel aurait été raboté par le cours du ruisseau, aurait même cédé à la pression des eaux lors de la vague cataclysmique d’un déluge imaginaire.

Mais le bassin de Cunlhat est bien le fruit d’un arrangement de blocs de granite par le truchement du jeu des failles et de l’érosion progressive. Il y a si peu de sédiments au creux du bassin qui pourraient témoigner d’un passé lacustre antédiluvien.

Non il n’y a pas eu de lac à l’origine de Cunlhat. 

Voire

Vers Fontbonne, sur la D65 qui mène à Domaize, le chemin descend vers le Mende pour rejoindre Le Coin, une passerelle maçonnée enjambe le ruisseau qui serpente depuis la station d’épuration de Cunlhat sur le seul et trés modeste fond alluvial du bassin. Vers l’amont, rive droite, une petite barre rocheuse dessine l’ébauche d’un verrou que l’érosion a dégagé, le ruisseau se faufile dans ce passage plus étroit. Rive gauche, le relief reprend puis est à nouveau creusé, de main d’homme cette fois, pour ménager un passage et une extraction de matériau.

Géoportail de l’IGN

Le promeneur profite en été de la fraîcheur de l’onde et prend le temps d’observer la subtile conformation du lieu.  Comme le commissaire Antoine Bourrel (Raymond Souplex) dans Les cinq dernière minutes, il se frappe le front et s’exclame « Bon Dieu ! Mais c’est bien sûr ! ». Il y a dans le paysage l’ébauche d’un ouvrage du passé. L’esprit colorie le dessin  fait de points à relier, une digue apparaît.

Regardons le profil altimétrique en coupe transversale à la toute proximité amont du chemin. Il se lit en considérant un point de vue depuis le chemin, la D65 est vers la gauche.

Malgré l’aspect schématique des profils issus du géoportail, une simple visite sur le terrain en montre la pertinence. La morphologie réelle force l’interprétation d’un ouvrage probablement disparu par manque d’entretien ou une rupture qui ne fut pas réparée. A cet endroit, le ruisseau collecte les eaux du bassin de Cunlhat et peut être soumis à des crues destructrices comme celle de 1930 dont témoignaient les habitant de Sagnes (hameau voisin). Le profil figure le  niveau d’une digue élevée de 4 m par rapport au lit du Mende (côte 656). Le plan d’eau est situé à 3 m (côte 659).

Le profil altimétrique suivant est celui du cours du Mende, la lame d’eau remonte jusqu’à la station d’épuration actuelle (voir la carte ci dessus).

Le dernier profil est une coupe transversale tirée environ entre le tiers et la moitié de la distance de la digue et du début de la lame d’eau en amont.

Dans ces conditions, l’étang aurait couvert une surface d’environ 2,3 ha.

Que dit le cadastre ?

C’est une surprise, les parcelles surlignées corroborent l’aire possible d’extension du plan d’eau. La carte cadastrale indique le toponyme « l’étang » sur ces parcelles. Cela ne s’invente pas. Les toponymes « Le cloître », « La cure » tendraient à appuyer l’hypothèse de la construction de l’ouvrage par les moines bénédictins de Cunlhat. Enfin, ces parcelles se situent juste en contrebas de la motte castrale, aujourd’hui quartier Lamothe (orthographié sur le cadastre de 1819 « La Motte »).

Le cadastre moderne ne fait que confirmer celui de 1819

La matrice cadastrale du plan de 1819 nomme chaque parcelle, l’ensemble de « l’étang » englobe également  la station d’épuration actuelle. Pour obtenir un étang de cette dimension, Il conviendrait  d’imaginer un barrage avec une hauteur d’eau  supérieure à 3 m (+1 m au moins), cependant, à l’époque assez ancienne de la construction du barrage, le niveau du terrain pouvait-être sensiblement inférieur. De plus le niveau de l’eau pourrait se situer en deçà des limites de propriété  . En tous cas, les informations contenues dans l’ancien et le nouveau cadastre définissent une enveloppe relativement précise de cet étang probable et datent son usage bien au delà de deux siècles.

Quod erat demonstrandum aurait pu dire le Prieur de Cunlhat.

Datation

Admettons que notre hypothèse soit avérée, la datation demanderait un peu plus d’investigations, ce que nous tenterons de faire dans les documents comme l’ancien cadastre ou par une analyse de la stratigraphie des sédiments si l’on en trouve les moyens.

Toutefois, il faut tenter d’imaginer qui aurait eu intérêt à construire un étang important dans un passé assez lointain. On pense immanquablement aux moines du prieuré bénédictin qui relevait d’une certaine importance. Il était d’usage pour les monastères, également pour les seigneurs, de construire des étangs pour élever du poisson. Cela assurait une ressource fraiche et disponible dans des temps où la conservation des aliments était difficile. Il y a dans le Livradois plusieurs étangs attribués aux moines comme à Marchaud (11 ha) entre Saint-Bonnet-le-Bourg et Saint-Germain-l’Herm. 

La construction d’un étang par les moines de Cunlhat est dès lors parfaitement plausible et pourrait donc remonter aux siècles florissants des monastères bénédictins (XIe, XIIe  siècles) mais ce ne sont pour le coup que des suppositions.

L’étang de Berbezit,  à côté de La Chaise-Dieu, a récemment fait l’objet d’études plaçant ses origines dans le même temps que l’installation des premiers agriculteurs, c’est-à-dire bien plus tôt. La trés probable villa gallo-romaine de Cunlhat peut certainement être candidate à ces travaux de « romains » même si les moines du Moyen-Age sont coutumiers de ces créations. Affaire à suivre.

Une vanne récente sur le même emplacement

Il y a dans la maçonnerie de la passerelle de franchissement du ruisseau, côté aval, une vanne constituée de fers en U permettant de loger des bastaings en bois. Cette vanne permettait de barrer temporairement le cours du ruisseau et de constituer une réserve d’eau.

Il est trés probable que cette réserve fut constituée pour réguler le cours d’eau dans l’objectif d’alimenter sans interruption le moulin de la Barde quelques centaines de mètres en aval et trés certainement les installations de la mine de Sagnes qui utilisait beaucoup d’eau pour laver le minerai et produire son électricité. Ce fut l’une des premières mines électrifiées en Europe.

La carte suivante indique pour une hauteur d’eau estimée de 1 m l’aire de la réserve d’eau (4200 m2) :

La photographie en tête d’article montre en contrebas de l’arbre, l’amorce naturelle qui fut peut-être prolongée en digue pour former un étang dont la réalité perdure aujourd’hui dans la matrice cadastrale et dans la légende du lac.

Selon un vieil adage, « Les légendes dissimulent souvent  un fond de vérité ».