J’ai toujours connu le Toine comme un vieil homme. Il était vieux comme sont les vieux dans les romans agricoles. Quand j’étais petit, je croyais que le Toine avait toujours été comme cela. Il avait fait la guerre de quatorze à coups de canne, il avait fait le paysan avec sa remorque Michelin parce qu’il n’avait toujours engraissé que des poules et des lapins. Mais le Toine a bercé mon enfance de l’histoire du souterrain de Granges. Un jour le Toine conduisait ses bœufs dans le champ gardé par la vieille chapelle, c’est au moins la preuve qu’il fit autre chose que de la cuniculiculture. Reprenant son histoire il partit un après-midi avec nous, canne en tête, sur les lieux de sa découverte : « le souterrain s’est effondré sous le poids des bœufs, il y avait quatre ou cinq marches taillées dans le rocher pour descendre, la galerie était à environ six mètres sous la surface, elle est taillée dans le gore. Peu après l’entrée il y avait deux petites chapelles aménagées de chaque côté de la galerie, on s’y tenait à peine debout. Il y avait un petit tas de charbon au milieu de la galerie et elle prenait la direction du bois, plus ou moins ». La canne virevoltait dans toutes les directions, le Toine un peu sourd parlait de plus en plus fort ce qui donnait une certaine autorité à ses explications. « La découverte a été signalée au maire de l’époque qui n’a pas donné suite. Nous avons pioché pour voir s’il n’y avait pas un trésor. Il n’y avait rien, c’était des légendes. Autrefois au coin du bois, plus bas, les fermiers auraient emmanché une araire dans la boucle d’une dalle, le patron a interdit de la soulever car il s’agissait du travail de ses ancêtres. Le souterrain reliait Granges au château de Ramia au-dessus du Mas-du-Bost ». Comme cela est curieux ! Les petites femmes noiraudes s’envolent en essaim à la belle saison et sèment dans la tête des paysans des idées saugrenues de trésors enfouis.
Mai 1994